Momies à toutes les sauces !

Momie égyptienne présentée dans l'exposition "Momies, les chemins de l'éternité" ©Maxppp - © Camille Dodet / PHOTOPQR / NICE MATIN
Momie égyptienne présentée dans l'exposition "Momies, les chemins de l'éternité" ©Maxppp - © Camille Dodet / PHOTOPQR / NICE MATIN
Momie égyptienne présentée dans l'exposition "Momies, les chemins de l'éternité" ©Maxppp - © Camille Dodet / PHOTOPQR / NICE MATIN
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Les momies ne sont pas l’apanage du monde égyptien, tout au contraire ! Les plus anciennement connues sont d’ailleurs issues d’Amérique du Sud (le nord du Chili a révélé cette pratique il y a plus de 7 800 ans). Vincent Charpentier en parle avec Philippe Charlier, grand spécialiste des momies.

Les momies sont le support physique de la transfiguration du passage à la mort, un état n’incarnant ni la vie, ni le trépas. Lever le voile sur ce thème, c’est découvrir qu’une multitude de pratiques d’embaumement a été entreprise de par le monde, jusqu’aux plus récentes, Napoléon, Lénine, Mao Zedong, Eva Peron ou le Pape Jean-XXIII…

Dans ce petit tour du monde, qui connaît les Kukukukus ? Si le terme est péjoratif, il n’évoque pas moins ces étranges momies de Papouasie-Nouvelle Guinée, accroupies dans des corbeilles. En Afrique, la momification est aussi pratiquée, notamment au nord du Cameroun, dans la société Fali. Lors de son expédition de 1936-1937, Marcel Griaule en photographie une exceptionnelle.

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Philippe Charlier "Les plus vieilles momies connues sont américaines. Elles viennent d'Amérique du Sud, du Chili (population Chincholo). Ce sont des momies complexes, car, une partie des chairs seulement est conservée, un faux masque en bois est déposé sur le visage avec des peintures, quelques cheveux. C'est vraiment une momification complexe, qui passe par un désossage. Ces momies ont plusieurs milliers d'années avant Jésus-Christ, et ce sont parmi les plus anciennes. Ce qui ne veut pas dire que la momification n'a pas existé, ailleurs ! Mais, comme toujours en archéologie, tant que l'on n'a rien trouvé, on ne connaît pas."

Philippe Charlier "Le Nord du Chili est une des zones les plus denses en terme de momification (après l'Egypte). Il semble vraiment que la quantité soit tellement importante que cela dépasse le simple cadre d'une élite. Ici, nous sommes vraiment dans une pratique qui semble extrêmement répandue."

Momie naturelle datant du 17e siècle, découverte en 1837, lors de la réfection de la collégiale du village de Saint-Bonnet-le-Château (Loire)
Momie naturelle datant du 17e siècle, découverte en 1837, lors de la réfection de la collégiale du village de Saint-Bonnet-le-Château (Loire)
© AFP - © Jeff PACHOUD

Les momies de mes ennemis

Dans l’art de la guerre, la momie tient aussi une place prépondérante dans certaines sociétés, comme celles entre Equateur et Pérou, au cœur de l’Amazonie. Blaise Cendrars en dresse un saisissant portrait chez les Jivaros, dans Moravagine (1926)  « Leur plastique est si précise que les visages momifiés gardent leur expression naturelle et que les corps eux-mêmes ont, au module réduit, malgré la disproportion des mains et des pieds, quelque chose de leur ancienne attitude. J’assistai à cette opération effarante quand ils réduisirent ainsi, la dépouille de notre pauvre bougre de Lathuille. Sacré bavard, va, il est aujourd’hui au musée du Trocadéro, le plus bel exemplaire d’une collection de tsantsas ». Aujourd’hui, ces fameuses momies sont au Musée du Quai Branly, pourrait-on, pour autant, retrouver, dans quelque réserve, Lathuille, désormais réduit ?

Philippe Charlier "En Egypte, les momies sont détendues, bien allongées. Elles sont en décubitus dorsale et sont allongées sur le dos, les mains tantôt posées sur le pubis, tantôt repliées sur le haut du tronc, en fonction de l'époque et aussi du statut. Les momies Paracas du Pérou, par exemple, sont en position genus pectorale, ou position fœtale."

Fardo, enveloppe de tissus enroulés sur plusieurs épaisseurs contenant les restes d'un personnage momifié naturellement (Pérou, vers 1100 - 1450 ap. J.-C)
Fardo, enveloppe de tissus enroulés sur plusieurs épaisseurs contenant les restes d'un personnage momifié naturellement (Pérou, vers 1100 - 1450 ap. J.-C)
- © Musée du quai Branly - Jacques Chirac, Dist. RMN-Grand Palais / Patrick Gries / Bruno Descoings

Philippe Charlier "Il est vrai que pendant des générations, en tout cas, au moins depuis le Moyen Âge, on utilisait des fragments de momies comme pharmacopée. En fait, tout part d'une erreur : ce qui était utilisé à la base peut-être pour une période déjà plus ancienne, l'Antiquité gréco romaine, ou une antiquité musulmane, était ce naphte, ce bitume, qui sortait de façon naturelle du sol, du sable ou de la mer. Et en fait, c'est ce bitume qui est utilisé en surface et à l'intérieur des momies égyptiennes."

Momies à toutes les sauces

La sauce de momie, ou presque, a bien existé… Huile, bitume, goudron, suintant des corps produit une pharmacopée impensable aujourd’hui : il faut alors relire Ambroise Paré et son « discours de la momie » qui, en 1580, relate qu’il n’est guère utile d’enduire les blessures d’une pâte faite de chair morte et humaine, pratique qui ne disparaîtra qu’avec la découverte de la morphine en 1803. La momie sert aussi de pigment de peinture, à chauffer les locomotives égyptiennes mais surtout de phosphate et engrais pour l’agriculture anglaise, 19 tonnes de momies de chats broyés arriveront ainsi à Liverpool…

Momie de chien de l'époque Ptolémaïque, époque romaine
Momie de chien de l'époque Ptolémaïque, époque romaine
- © Musée du Louvre - Dist. RMN-Grand Palais / Christian Décamps

Philippe Charlier "Avec ce que l'on appelle les momies artificielles, il y a une vraie quête de sens, une vraie tension sous jacente métaphysique qui est celle d'empêcher la corruption liée à la décomposition et à la putréfaction. C'est lutter non pas contre la mort, celle-ci est acceptée puisqu'il y a des rituels qui l'accompagnent, mais c'est lutter contre les signes de la mort, ce qui est tout à fait différent. [...] Sans embaumement, sans momification, le séjour dans l'au-delà devient impossible. Donc, on est obligé de s'acheter, si on peut dire, par son niveau socio-économique, ses soins d'embaumement, sa place au paradis."

Pour aller plus loin

Bibliographie de Philippe Charlier (non exhaustive)

À écouter ou à réécouter : Momie, momie, momie !
Carbone 14, le magazine de l'archéologie
28 min
À écouter ou à réécouter : Plaidoyer en faveur des momies
Le Journal de l'histoire
3 min

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