L'école de Beauvallon, pionnière de la pédagogie active

Marguerite Soubeyran devant l'école de Beauvallon
Marguerite Soubeyran devant l'école de Beauvallon
L'école de Beauvallon, pionnière de la pédagogie active
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L'école de Beauvallon, pionnière de la pédagogie active

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Une école en pleine nature qui donne la parole aux élèves et les responsabilise : voilà l'expérience pédagogique lancée par Marguerite Soubeyrand en 1929, qui ferait encore rêver bien des enfants (et leurs parents) aujourd'hui.

En 1929, dans la Drôme, Marguerite Soubeyran fonde une école unique en son genre, la première école mixte et à pédagogie active de France. Une république d’enfants en pleine nature, qui accueille garçons et filles de 3 à 17 ans en souffrance, “inadaptés”. En 1972, elle était interviewée par la télévision française dans son école, à Beauvallon.

Marguerite Soubeyran : "Nous devons toujours mettre les enfants en situation de réussite, jamais en situation d’échec, c’est la chose la plus importante ici. Échouer c’est un accident. Réussir c’est la vie."

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La fondation d'un lieu unique

A la fin des années 1920, Marguerite convainc ses frères, importants propriétaires terriens protestants, de financer une aventure éducative. Marguerite Soubeyran : "Nous avons acheté un terrain ouvert sur la nature. Parce qu’une école doit être ouverte. Il faut qu’elle ouvre sa porte au monde, et que le monde vienne, et qu’on puisse sortir : alors nous avons pris un champ où il n’y avait rien. Même pas de route pour y arriver. L’enfant doit être dans un milieu calme. Qu’est-ce qui est plus calme que la campagne ? Nous avons aussi fait beaucoup pour les fleurs. Nous croyons qu’il faut créer un entourage de beauté pour les enfants. C’est une partie énorme de l’éducation. Nous avons mis des fleurs partout, et planté beaucoup d’arbres. Combien de gens m’ont dit : "Comment vous pouvez avoir toutes ces fleurs, avec vos enfants difficiles ?" Je leur réponds toujours "Mais vous croyez qu'ils n’aiment pas les fleurs autant que vous ? Qu’ils ne sont pas capables de s’intéresser aux fleurs quand on leur montre qu'elles sont à eux, que c’est pour eux qu’on les a plantées ?" Et d'ailleurs, jamais nous n’avons eu d’ennuis !"

Un élève de l'école de Beauvallon, en 1972 : "On peut faire ce qu’on veut ! Pendant les récréations, on est libres. On peut aller sur le plateau pour faire nos cabanes…"

Formée auprès des pionniers de l’éducation nouvelle en Suisse, Marguerite invente sa propre méthode, basée sur une responsabilisation des enfants. Marguerite Soubeyran en résume ainsi le principe : "Discuter avec eux tout ce que nous ferons dans l’école, aussi bien nous, les adultes, que les enfants. Et ensemble, arriver à mettre sur pied un ensemble de lois simples qui fassent que la maison marche harmonieusement et sans difficultés. Alors nous avons mis en place des "assemblées”. Je serais incapable d’être dans une école sans assemblée. C’est le pivot de l’école."

Un élève de l'école de Beauvallon, en 1972  : "Ici, on pouvait dire ce qu’on avait sur le cœur sans complexe, ni rien."

L'accueil, ou la devise de "Tata Marguerite"

La vie de l’école s’organise autour du jardin avec sa piscine, des randonnées à vélo, ses petites tables du réfectoire et ses dortoirs - proches des habitudes familiales - ses élection d’élèves qui vérifient la propreté des mains, et de la confiance entre adultes et enfants (qui se tutoient). Un fonctionnement que Marguerite Soubeyran détaille ainsi : "Les grands aident les petits, les petits font l’éducation des grands aussi, tout cela va ensemble. Nous avons des personnes âgées chez nous, des couples avec enfants, de manière à avoir le milieu le plus humain, le plus naturel possible pour les enfants que nous recevons.

Dans ce havre de paix, la devise est l’accueil et la convivialité. Dès les années 1930, réfugiés fuyant la guerre d'Espagne et juifs voulant échapper aux persécutions antisémites sont accueillis à Beauvallon de la même façon. A partir de 1942, des intellectuels comme Louis Aragon et Elsa Triolet, Emmanuel Mounier ou Pierre Seghers viennent s'y cacher aussi, comme des dizaines d’enfants juifs réfugiés. Faux papiers, réseaux de résistance actifs dans la région, cachettes dans les familles solidaires ont protégé les enfants juifs des rafles du gouvernement de Vichy. En 1969, Marguerite sera reconnue comme Juste parmi les nations.

Marguerite Soubeyran : "Quand j’avais 10 ans, j'ai lu un livre où il y avait des enfants abandonnés, des enfants malheureux. J'en avais été absolument bouleversée. Je m’était dit : “Mais il n'y a rien à faire. Moi, je n'aurai pas d'enfants, j’adopterai des enfants et je m'occuperai d'enfants.”

“Aux plus sombres heures de la France, merci aux fées de Beauvallon de tranquillement démontrer qu’il n’y a aucune raison de désespérer de l’homme…” Louis Aragon, juillet 1942, dans le livre d'or de l'école de Beauvallon.

Marguerite Soubeyran : "J'étais très étonnée d'entendre des directeurs de maisons d'enfants dire : “À 50 ans, on est fini nerveusement. On ne peut plus continuer. Il faut se recycler ou faire autre chose. J'étais ahurie parce que je trouve que, au contraire, nous apprenons tout le temps avec les enfants. C'est une manière de rester jeune, de pouvoir continuer à vivre. Nous sommes obligés de faire attention à tous les événements, à la société qui se forme autour de nous, pour adapter notre école tout le temps. Nous ne pouvons pas rester statiques, nous devons avancer. Ou alors ça ne marche plus. Nous devons nous recycler, nous mêmes et l'école. C'est une façon de faire pour vivre le plus longtemps possible. Pour ma part, j'aimerais rester le plus longtemps possible avec eux, ne pas les quitter."