"Ne croyez pas la propagande" : l'acte courageux d'une militante en plein journal de 20h russe

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"Ne croyez pas la propagande" : l'acte courageux d'une militante en plein journal de 20h russe

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Marina Ovsiannikova brandit une pancarte dénonçant l’intervention militaire russe en Ukraine, pendant le journal télévisé de la chaîne publique de Russie, Pervy Kanal, le 14 mars 202
Marina Ovsiannikova brandit une pancarte dénonçant l’intervention militaire russe en Ukraine, pendant le journal télévisé de la chaîne publique de Russie, Pervy Kanal, le 14 mars 202
- Capture d'écran

C'est du jamais vu. Marina Ovsiannikova, citoyenne russe employée de la chaîne publique Pervy Kanal, a surgi en plein direct lundi pour dénoncer la voix du Kremlin et la guerre en Ukraine. Munie d'un panneau avec le message "Ne croyez pas la propagande, on vous ment ici", elle aurait été arrêtée.

La scène se déroule en plein 20h, lundi soir, pendant le journal télévisé le plus regardé de Russie. Alors que la journaliste présente l'édition de "Vremia" "("Le temps"), une jeune femme surgit derrière la présentatrice. Dans ses mains, un panneau en russe et en anglais : "Arrêtez la guerre, ne croyez pas la propagande, on vous ment.

La célèbre journaliste Ekaterina Andreïeva poursuit sa présentation, imperturbable, mais rapidement, le direct s'interrompt et est remplacé par un reportage sur les hôpitaux.

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La femme qui vient de briser la voix du Kremlin s'appelle Marina Ovsiannikova. C'est une employée de la télévision. 

"J'ai honte d’avoir permis que le peuple russe soit zombifié"

Quelques minutes avant son geste, elle a enregistré une vidéo pour expliquer son geste.

"Ce qui se produit en Ukraine est un crime dont seul Vladimir Poutine est responsable" dit-elle. Marina Ovsiannikova s'explique : son père est ukrainien, sa mère russe. Elle raconte encore sa honte d'avoir selon ses termes d'avoir "travaillé à la propagande du Kremlin. Nous sommes le peuple russe, nous avons le pouvoir d'arrêter cette folie" dit encore cette femme de 44 ans, avant d'appeler la foule à descendre dans les rues.

Elle confie plus largement :

"Ce collier jaune et bleu autour de mon cou est là pour dire que la Russie doit stopper cette guerre fratricide immédiatement. Malheureusement j'ai travaillé sur la chaine Pervy Kanal ces dernières années, j'ai travaillé à la propagande du Kremlin. Et maintenant, j'ai vraiment honte. J'ai honte d'avoir permis que des mensonges soient dits sur les écrans de télé. Honte d’avoir permis que le peuple russe soit “zombifié”. Nous sommes restés silencieux quand tout a commencé en 2014. Nous ne sommes pas descendus dans les rues quand le Kremlin a empoisonné Navalny. On est juste resté silencieux devant ce régime inhumain. Et maintenant le monde entier nous tourne le dos. Nous sommes le peuple russe. Nous sommes intelligents et réfléchis. Nous avons le pouvoir de faire stopper cette folie. Sortez dans les rues, n'ayez pas peur. Ils ne pourront pas tous nous arrêter."

Selon l'ONG de défense des droits des manifestants OVD-Info, Marina Ovsiannikova a été arrêtée hier soir. Elle pourrait être poursuivie pour avoir discrédité l'action des forces armées russes précise l'agence de presse russe officielle Tass. 

Une "opération militaire spéciale" et le risque de 15 ans de prison

La loi russe punit depuis le 4 mars jusqu'à quinze ans de prison ceux qui diffusent des "informations mensongères sur l'armée russe". Des amendements adoptés par les députés et signés par Vladimir Poutine. Cela s’applique aux médias comme à toute la population. Simplement dire "non à la guerre" est devenu un motif d'arrestation. Et les grands réseaux sociaux étrangers (Facebook, Twitter, Instagram) sont bloqués. On estime que 80 millions de Russes utilisaient par exemple jusqu'à présent Instagram, officiellement accusé d'appels aux meurtres de Russes en lien avec le conflit en Ukraine.

Le choc de l'interdiction d'Instagram en Russie. Correspondance de Moscou de Sylvain Tronchet

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La télévision russe ne parle que d'une "opération militaire spéciale", mais jamais de guerre, le mot étant interdit par les autorités. Aucun média n'y échappe, ceux qui ont tenté de le faire sont aujourd'hui interdits, et fermés pour la plupart. La fermeture d'Écho de Moscou, radio indépendante incontournable du pays né en 1990, a ainsi provoqué un séisme dans le monde médiatique russe.

La télévision, totalement contrôlée par le gouvernement, était jusqu'à cette brève interruption hier le fidèle relais de la propagande officielle. À l'écran, "l'opération militaire spéciale" se déroule comme prévu, les troupes russes essuient peu de pertes. Et quand on parle des Ukrainiens, c'est parfois en termes très agressifs, comme le présentateur vedette Vladimir Solovyov, dont le talk show est regardé par des millions de téléspectateurs.

Correspondance de Moscou de Sylvain Tronchet sur la couverture médiatique russe de la guerre en Ukraine.

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Une censure contournée par certains

Les VPN, réseaux privés virtuels, sont parmi les outils les plus utilisés par les Russes pour passer outre la chappe de plomb du Kremlin. Ce mode de connexion anonyme permet de changer sa localisation en dehors de Russie et ainsi d'accéder à des sites bloqués dans le pays. Sur les magasins d'applications de Google et Apple, les VPN sont en tête des téléchargements en Russie. Et leur nombre d'installations a été multiplié par 50 en une semaine : passant de 4 000 à 5 000 par jour en moyenne avant la guerre à 192 000 le 5 mars dernier, d'après les données d'un fournisseur.

L'utilisation d'un tel outil est pourtant interdit par la loi en Russie sauf s'il se connecte à des serveurs contrôlés par l'Etat. Mais les fournisseurs et les utilisateurs contournent l'interdiction.

Un autre moyen consiste à télécharger le navigateur Tor qui permet de se connecter à ce que l'on appelle le dark web, l'internet qui n'est pas référencé dans les moteurs de recherche et non accessible via un navigateur classique. Twitter vient d'ailleurs d'y mettre en ligne une version adaptée de son réseau. Sachant que Tor permet comme un VPN une connexion anonyme et non localisée, en Russie par exemple.

Les Enjeux des réseaux sociaux
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Enfin, Reporters sans frontières a aussi annoncé avoir restauré le site internet Meduza.io, le média russe fondé à Riga en Lettonie étiqueté “agent de l’étranger” depuis près d’un an. Et l'organisation veut continuer à le faire pour d'autres médias qui continuent d'informer via des newsletters envoyées directement dans les boites mails.

Toutefois, pour beaucoup de Russes sans culture informatique, ces solutions restent difficiles à utiliser et leur source d'information demeure les médias d'État.

Avec la collaboration de Sébastien Lopoukhine et Éric Chaverou

Le Reportage de la Rédaction
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