L’amitié à l’époque des "Sex Friends" et des "Followers"

« Plus je vieillis et plus je trouve qu’on ne peut vivre qu’avec les êtres qui vous libèrent, qui vous aiment d’une affection aussi légère à porter que forte à éprouver. La vie d’aujourd’hui est trop dure, trop amère, trop anémiante, pour qu’on subisse encore de nouvelles servitudes, venues de qui on aime. »

Ces mots sont extraits de la correspondance d’Albert Camus avec René Char et datent de septembre 1957. Une correspondance comme un objet littéraire dans laquelle il est souvent question de cette amitié exemplaire dans sa forme absolue qui unissait les deux hommes. Mais les temps changent… et à l’ère des like sur les réseaux sociaux, des sex friends et alors que la pandémie a rebattu la carte de nos liens sociaux, l’amitié est aujourd’hui une notion protéiforme qu’il est difficile de définir mais qui semble tenir une place structurelle dans notre société. De nombreuses études et enquêtes post-confinement témoignent ainsi de l’importance des amis dans nos vies intimes et quotidiennes. Ils seraient - avec la famille -, les garants de notre bien-être voire de notre bonheur. Alors qu’est-ce qu’un ami aujourd’hui ? Qu’était-il hier ? De quoi l’amitié se nourrit-elle ? Que peut-elle nous apporter individuellement et collectivement ?

Dimitri El Murr a publié un grand nombre d’articles et d’ouvrages parmi lesquels Savoir et gouverner, essai sur la science politique platonicienne (ed. Vrin, 2014)  Mais aussi Les philosophes face au vice, de Socrate à Augustin. L’amitié est un sujet qu’il étudie depuis une vingtaine d’années – il a notamment publié un corpus de textes.

"Pendant des siècles l'amitié (philia en grec ou amicitia en latin) est une catégorie d'existence et une catégorie de pensée majeure. C'est même une catégorie par laquelle ou à travers laquelle les philosophes réfléchissent au lien social, au lien interpersonnel, à la politique, à ce que doit faire la politique, la citoyenneté (...). Et puis tout à coup ça disparaît dans l'histoire.

"L'amitié, selon Aristote, c'est un lien de bienveillance réciproque. Ce n'est pas une relation utilitaire, c'est une relation de réciprocité, de symétrie, de parité dans laquelle la vertu est engagée.

"Le bon nombre d'amis est celui avec lequel une vie commune est encore possible (Aristote).

"Je pense que l'amitié c'est encore un des endroits dans notre mon de contemporain où on peut encore exercer la liberté.